Le projet AnaCredit initié par la Banque Centrale Européenne annonce une « révolution » dans l’approche réglementaire. Et contrairement aux précédentes réglementations européennes bancaires, la BCE a privilégié une stratégie suffisamment souple permettant à chaque superviseur de mettre en place un certain nombre de spécificités nationales. Décryptage et analyse de l’approche française avec Jean-Marie Trespaillé-Barrau, Responsable Veille Réglementaire Invoke.
Le projet AnaCredit, lancé à la suite d’une exigence de la Banque Centrale Européenne (Règlement UE 2016/867 du 18 mai 2016), est inédit dans la zone euro, et cela, du fait de la granularité des données attendues par l’institution européenne. Au niveau national, la BCE donnera la possibilité à chaque banque centrale nationale (BCN) de définir l’ensemble des modalités d’implémentation du projet AnaCredit : nature des déclarants, modalités de collecte, instruments collectés ou encore modalités techniques de déclaration.
Une fois les données des assujettis collectées localement conformément aux « spécificités nationales », charge est donnée aux Banques Centrales de transmettre à la BCE le « tronc commun » des données AnaCredit, en accord avec le cahier des charges européen. C’est ainsi que la Banque de France a bâti le projet DORIAN acronyme de DOnnées RIsques ANacredit et déclinaison du projet AnaCredit phase 1 en France.
Quelles sont les principales spécificités du projet DORIAN ?
La principale spécificité française réside dans la collecte par la Banque de France de données additionnelles nécessaires à la Centralisation des Risques actuelle : données liées principalement aux crédits accordés aux entrepreneurs individuels et à la qualification des personnes physiques, alors même que ces dernières ne seront demandées par la BCE que dans le cadre de la phase 3 du projet AnaCredit.
Enfin, toujours dans l’optique de répondre aux exigences de la Centralisation des Risques actuelle, la Banque de France a prévu de collecter au sein d’AnaCredit les engagements de garantie et de distinguer l’affacturage des autres créances commerciales.
Quid du périmètre des déclarants et des dates de remise à la Banque de France ?
À l’image du projet BCE, les établissements de crédit résidant en France Métropolitaine, à Monaco, dans les départements d’outre-mer ou dans les collectivités telles que Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy ou Saint-Martin, seront concernés par le projet DORIAN. À noter que les établissements de crédit résidents devront déclarer à la Banque de France l’activité de leur succursales résidentes, ainsi que celle de leurs succursales implantées dans un autre état membre déclarant.
S’ajoutent à cela les succursales résidant en France et dont le siège social se trouve dans un autre état membre déclarant.
La Banque de France a d’ores et déjà annoncé que la première remise AnaCredit se fera sur la base de l’arrêté du 30 septembre 2018, pour une remise avant le 15 octobre 2018 1.
Quant à la remise anticipée des informations du référentiel de contreparties exigée par la BCE au plus tard le 31 mars 2018, la Banque de France a annoncé qu’elle assurera elle-même cette remise auprès de la BCE, sans avoir recours aux déclarants.
Quelles conséquences sur le paysage réglementaire français ?
Le projet AnaCredit marque une vraie rupture avec l’ensemble des reporting qui ont pu s’établir précédemment, et ceci pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, la granularité des données attendues marque une rupture tangible, puisqu’on le sait, la BCE et la Banque de France attendent des établissements financiers un niveau de détail très important au niveau des contrats, des contreparties et des protections.
En France, certains reporting exigeaient d’ores et déjà un niveau de détail similaire, mais ceux-ci couvraient un périmètre d’informations bien plus restreint. Cet élargissement du périmètre va nécessairement se traduire par une augmentation notable de la volumétrie de données à analyser et à transmettre.
Afin de réduire sensiblement cette volumétrie et limiter la redondance des informations à envoyer d’une déclaration mensuelle à l’autre, la BCE et la Banque de France ont décidé de n’exiger certaines typologies de tables qu’en cas de modification des attributs qui les composent. Cependant, si cette solution impacte à la baisse la volumétrie transmise, elle ne diminue en rien la volumétrie à traiter par les assujettis, et tend même à complexifier le processus de déclaration.
Granularité et volumétrie auront des impacts importants au niveau des systèmes d’information des établissements financiers, nécessitant notamment un enrichissement des données, une fiabilisation des systèmes, des rapprochements inter-périodes, des contrôles croisés avec d’autres modèles de reporting, etc.
Pour la BCE, l’ambition d’un reporting aussi granulaire est de produire des analyses statistiques plus détaillées, mais aussi de produire plus facilement des reporting ad hoc relatifs à des problématiques financières ou monétaires d’actualité. Le projet AnaCredit est ainsi présenté comme une première étape vers un modèle de supervision directement orienté vers les systèmes d’information des institutions financières en Europe.
Il est également important de préciser que le projet DORIAN en France est amené à remplacer, pour les assujettis à AnaCredit, le reporting Centrale des Risques actuel.
Enfin, le projet DORIAN n’est que la première partie d’un projet au long cours : il sera suivi du projet TIMEND (TItres MÉnages Dérivés), au sein de la direction générale des statistiques, qui couvre les phases 2 et 3 du projet AnaCredit.
1. Sujet à modifications en fonction des échanges en cours avec les BCE et entre les BCN de la zone Euro